Exposition
Les pionniers de la céramique moderne, la Borne
du 11 juin 2018 au 7 janvier 2019
Musée des Arts décoratifs,
Hôtel Lallemant, Bourges (18)
Label exposition d'intérêt national
Claudine Monchaussé
Claudine Monchaussé naît en 1936 à Villenauxe-la-Grande (Aube).En 1952, elle quitte la Champagne pour terminer ses études à Paris. De cette période elle se souvient des salles de cinéma qu’elle fréquente assidûment. Ce lien avec le septième art et la musique, elle l’entretient depuis l’enfance.
Les années parisiennes
À 18 ans elle est embauchée comme dactylographe pour les magasins du Printemps, ça ne durera pas. En 1957 elle rencontre le céramiste Pierre Mestre. Cette rencontre la rapproche d’un environnement artistique par lequel elle a toujours été attirée. À Paris elle visite les galeries d’art. Le samedi elle arpente la rue de Seine et regarde principalement la peinture. Avec une approche intuitive qui ne la quitte jamais, elle se nourrit et partage avec les artistes du moment, l’expérience et la richesse de la vie parisienne.
« Serge Poliakoff avait acheté des pièces à Pierre Mestre, nous le rencontrions souvent. »
Claudine Monchaussé évoque aussi le souvenir de ses amis les Borot qui en 1959 commandent à Charlotte Perriand l’agencement de leur maison et l’ensemble du mobilier. « Tout était choisi ou validé par Charlotte Perriand, une tapisserie d’André Bloc, les sculptures d’Alicia Penalba, les céramiques de Mohy, des Lerat, de Mestre... ».
C’est dans la galerie parisienne La Crémaillère, place de la Madeleine, qu’elle découvre la céramique artistique, à travers des œuvres en grès réalisées à La Borne. On y présente des œuvres de Joulia, Mohy, Mestre. Désormais, pour Claudine Monchaussé, le souffle de la modernité se trouve dans les ateliers des potiers de La Borne. Elle se souvient de longs moments d’observation du matériau céramique.
« Je crois que j’ai toujours aimé la terre. À côté de la maison de mes parents, il y avait un vieux bâtiment avec un toit de tuiles en terre cuite très ancien. Je pouvais passer de longs moments à le regarder, je trouvais que c’était beau. C’était la vie. Je ne voyais pas autre chose, je ne voyais que cela. »
La découverte du grès, du possible de la sculpture céramique la guident alors.En 1959, elle décide de suivre Pierre Mestre dont l’atelier se trouve à La Borne. Cette rencontre avec à La Borne d’en Haut, dans la maison qu’elle ne quittera jamais plus, est une révélation. « J’ai vu cet endroit et j’ai tout de suite su que j’y passerai ma vie ». Elle a alors 23 ans.
Mythologie, fertilité, maternité
Claudine Monchaussé se familiarise instantanément avec l’atelier. Elle y passe du temps à aider Pierre Mestre dans son travail de commandes. On ne peut pas vraiment dire qu’elle apprenne, mais elle est là, elle s’imprègne, accompagne le travail de l’argile et ne s’en éloigne jamais. Elle fait silencieusement sa place, déterminée à vivre dans cet environnement rude, au climat si particulier.
À cette période La Borne est encore un village potier, en déclin, pourtant ceux que l’on considère comme les derniers potiers sont toujours là. L’environnement bornois est constitué de pots, d’outils à l’arrêt. La vie y est rudimentaire. Pourtant, quelques jeunes artistes s’y sont installés et par leurs démarches artistiques sont en train de refaire la réputation du village.
La culture potière constitue le terreau qui fixe Claudine Monchaussé à ce village dès son arrivée. La vie céramique, les métiers de la terre ainsi que les échanges avec les potiers de tradition sont fertiles. Pourtant elle s’en est toujours tenue à l’écart. Elle admire et évoque souvent l’œuvre de Marie Talbot (1814-1874), dont les pièces sont les seuls témoins de sa personnalité hors norme. Cet endroit qu’elle découvre, elle l’intègre, l’assimile, s’en charge instinctivement, et s’en libère rapidement pour faire œuvre, à son tour. Habitée depuis l’enfance par une image qui la poursuit, elle n’est là ni pour apprendre la céramique, ni pour chercher dans le champ de la tradition. Si ses sculptures sont en terre, c’est parce qu’elle entretient avec le matériau un lien viscéral.
C’est au début des années soixante qu’elle réalise ses premières pièces avec l’argile. Elle débute avec une sculpture abstraite, mesurant un peu plus de 10 cm, de couleur grise, bien proportionnée : les prémices de l’œuvre à venir.
Pourtant cette approche, directement reliée à l’apparition d’une image sera mise sous silence les premières années de sa pratique. Ces années sont marquées par les naissances de ses trois enfants et son œuvre est imprégnée de cette expérience. On trouve des sculptures représentant des couples enlacés. Les femmes en terre sont assises, le ventre rond. Un modelage de cette époque, toujours présent dans l’atelier, représente une grotte abritant un nouveau-né. L’artiste forme des cocons, des abris et donne naissance à des formes fusionnelles.
« J’ai toujours eu conscience d’une déesse mère. C’est vraiment une certitude pour moi. C’est une mère qui est là, bienfaisante, mère de l’humanité. Mais cela fait peut-être partie d’un rêve... »
En 1964, pour sa première exposition à la galerie des Jeunes, à Paris, elle présente un ensemble de sculptures en grès, des statuettes, sans doute féminines mais dont on ne sait à quelle civilisation elles appartiennent. La journaliste du Berry Républicain, Jacqueline Claude, écrit « Toutes ses œuvres — de petites dimensions — traduisent la femme, la mère, la déesse. Elles sont très proches de la nature et pourtant déjà très dégagées des formes naturelles, arbitraires. Monchaussé travaille tantôt la terre ‘chamottée’ qui donne à la pâte une rugosité particulière qui ne manque pas de charme. C’est la toute première exposition de Monchaussé. Nous attendrons avec intérêt les suivantes. » Pendant les quelques années qui suivent, Claudine Monchaussé poursuit cette œuvre comme une maternité dont il ne reste que quelques sculptures qui habitent le jardin.À la fin des années 1960, ses gestes s’affirment, ses créations deviennent plus strictes, annonçant un changement d’échelle sur certaines d’entre elles. « Si mes pièces semblent architecturées, c’est que je suis incapable de faire des choses très libres » La rondeur des corps, les formes de la nature laissent place à un statuaire divin.
« J’ai toujours eu conscience d’un monde, qui a existé et qui existe. C’est ce monde-là que j’ai voulu exprimer à travers des symboles. Au départ, je ne savais même pas ce que cela voulait dire. Je l’ai découvert au travers du regard des autres. On me demandait où j’avais vécu. Je sentais que peu à peu mon travail s’ancrait. Cela me confortait pour aller encore plus loin. Quand on commence à faire des pièces, on veut tellement faire, tellement dire, qu’il faut continuer, perdurer, améliorer, pour tendre vers quelque chose. »
Claudine Monchaussé n’est pas contrainte par une production. Par « le faire », elle trouve une vie proche d’une retraite spirituelle, à la fois connectée à son village, au monde, mais s’en tenant délibérément à l’écart pour être au service de son œuvre qu’elle établit lentement. Une œuvre qui s’inscrit dans le champ de la recherche et des certitudes.Jusqu’au milieu des années 1970, la vie est plus difficile mais Claudine Monchaussé se consacre corps et âme à la sculpture. Ne cherchons pas, Il n’y a pas d’objets, pas de pièces utilitaires. En se rapprochant de l’image qui inlassablement l’habite et s’impose, elle trouve comme fondation à sa sculpture le cylindre. Cette base cylindrique sera d’avantage tendue à partir de 1975. La forme de plus en plus dynamique devient une certitude et les œuvres s’affirment.Cette période est aussi marquée par sa rencontre avec Claude Gaget, avec qui elle partage sa vie. Ensemble ils construisent un four à bois en 1974. Puis en 1989, ils en construisent un second, de type Sèvres, qui comptabilise aujourd’hui 70 cuissons. La fabrication de cet outil est significative pour Claudine Monchaussé. Ce nouveau four lui permet de cuire des sculptures dans l’alandier. En contact direct avec la flamme et dans les cendres, les pièces se chargent de l’épreuve brutale du feu afin de recevoir de nouvelles matières. Le travail de Claudine Monchaussé se radicalise et définit une ligne qu’elle poursuit à ce jour.
« C’est petit à petit que mes pièces sont devenues plus strictes. Je me suis aperçue qu’en prenant cette forme dans ma main pour la travailler, elle faisait partie de moi, de mon corps, qu’elle continuait mon corps. »
Il est vrai que lorsque l’on regarde les sculptures de Claudine Monchaussé on a immédiatement envie de s’en saisir. Ce n’est pas tant le besoin de toucher la céramique que celui de mettre dans le creux de sa main une pièce qui devient la projection d’un outil. Sans savoir si nous choisissons la pièce ou bien si c’est elle qui nous choisit, nous nous en emparons. Les sculptures de Claudine Monchaussé sont intimes. Les découvrir relève d’une démarche, peut-être même d’une quête, qui nous mène un jour jusqu’à elles. Alors que nous pensons pénétrer dans son intimité, la maison et l’atelier étant proches et souvent ouverts, sa rencontre et celle de ses œuvres nous renvoient à ce qu’il y a de plus profond en nous. Ses formes n’ont pas d’âge.Claudine Monchaussé nous laisse le temps de la découverte, et presque en retrait, elle nous observe face à ses réalisations. D’ailleurs une fois accomplies, l’artiste avoue s’en éloigner confiante du destin de ces dernières et retourne rapidement à l’atelier.
« Ce qui m’intéresse c’est le côté spirituel. Je sens que mes pièces créent un lien, c’est ce lien qui pour moi est le plus important. Toute l’humanité a besoin d’être reliée, et même si c’est avec un petit lien, ça me satisfait, parce que d’autres personnes font aussi ce travail, et cela crée une grande chaîne. C’est un peu le but de ma vie. »
Parcourir l’œuvre de Claudine Monchaussé, c’est mettre les pieds et l’esprit tout entier dans un monde quelle bâtie depuis plus de cinquante ans, dans lequel cohabitent l’image du taureau et celle d’une déesse mère, comme en témoigne un autel « taureaubolique » dans le jardin.
« Il y a souvent dans mes sculptures l’évocation du taureau, un mélange entre cette déesse mère et ce taureau. Mais le fil entre ces deux figures, c’est toujours finalement la fertilité. Quand je fais mes pièces, j’ai l’impression qu’il faut que je sème, que j’ensemence le monde. Ce que j’aime chez le taureau, c’est qu’il est le signe de la fertilité. C’est l’humanité… »
Depuis son installation à La Borne, Claudine Monchaussé rayonne dans le monde entier. Si sa sculpture est statique, l’œuvre, elle, est diffuse et l’artiste fédère Cette volonté de ne faire aucune concession définit son environnement, à l’image du monde qu’elle suggère et qui par l’œuvre est devenu le relais vers cette « déesse mère » qu’elle a toujours sentie. Son travail n’est pas historique mais plutôt intemporelle. Elle a renversé les codes de la sculpture céramique dès son amorce. Réaliser des sculptures en grès est la finalité d’un processus artistique au-delà des préoccupations du matériau. En témoignent des assemblages équilibristes d’éléments trouvés, ramassés, collectés qu’elle compose et qui ne quittent jamais son atelier. Ceux qu’elle appelle les « montages » vivent en parallèle, en complément de son œuvre en grès et nous rappellent qu’elle ne témoigne pas de l’histoire de la céramique mais de celle de l’humanité. Elle est enracinée dans l’argile pour ce qu’elle a de primordial. Si ses amitiés, ses rencontres et ses partages avec ses contemporains des années soixante ont été riches, le destin de son œuvre a toujours été porté dans l’intimité avec détermination, imperturbablement. D’abord considérée moderne, elle est désormais actuelle.Claudine Monchaussé écrit sur un post-it une citation de Michel Butor qu’elle colle sur le mur de l’atelier « Je suis très ancien, mais aussi je suis votre futur. »
Renaud Régnier
Bibliographie
La Borne et ses potiers, Robert Chaton, Editions Delayance, 1977.Potiers d’aujourd’hui au pays de La Borne, Robert Chaton, Editions Delayance, 1980.La Borne un village de Potiers, John Bailey et Bernard Thimonier, Association des potiers de La Borne, 1987.Images d’ateliers, photographies, Claude Friess, 2004, Centre de création céramique La Borne.Cinquante ans de céramique française, 1955-2005, Une collection nationale, Antoinette Faÿ-Hallé, Editoins de la Réunion des musées nationaux, Paris, 2005.Janet Stedman, potière, 1945-1987, Association Janet Stedman, Centre de création Céramique de La Borne, 2008.Galerie Besson retrospective of a lifelong passion, Officine ceramic arts gallery, Milan, 2012.Jacqueline Lerat, L’être et la forme, Sèvres-cité de la céramique, 2012.
Presse
Artistes berrichons, Le Berry Républicain, Jacqueline Claude, 23 décembre 1964RCV n°34 mai-juin 1987, claire de RusquetRCV n°68 janvier-février 1993, article de Nicole CrestouLa Borne de grès et de force, Jean-Pierre Thibaudat, Libération, vendredi 10 mai 2002RCV n°148 mai-juin 2006 , article de Marc Ducret, collection Thierry LeproustJulien Carreyn, impressions érotiques, Judicaël Lavrador, Libération, lundi 25 avril 2016Jeune schnock, Claire Moulène, Les inrockuptibles, n°1061 du 30 mars au 5 avril 2016RCV n°211 novembre-décembre 2017, article de Fabien Mérillon.